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Qui sont les réseaux franco-marocains (entreprises, politiques, stars du show biz, etc..) ?

Qui sont les réseaux franco-marocains (entreprises, politiques, stars du show biz, etc..) ?

 

09/04/2013

 

Trois mois après sa visite en Algérie, François Hollande se rend

au Maroc ce mardi. Paris est le premier partenaire économique

du Maroc en matière d’investissement et d’échanges

commerciaux. Qui sont les réseaux franco-marocains

(entreprises, politiques, stars du show biz, etc..) ? Comment

s’organisent-ils ?

 

Ali Amar : La galaxie des réseaux franco-marocains tisse sa toile

dans tous les secteurs de la vie publique française. En recenser

tous les acteurs est une tâche impossible tant la liste est longue,

changeante et semée de zones d’ombre. Des cercles d’influence

économiques où l’on retrouve les grands patrons des entreprises

du CAC40, toutes représentées au Maroc, aux stars du show-biz

comme Jamel Debbouze en passant par les politiques qu’ils

soient de gauche ou de droite ou au cœur de l’intelligentsia

intellectuelle et médiatique, la tribu des « amis du Maroc »

constitue à n’en pas douter un des plus puissants lobbys

oeuvrant pour un État étranger. La liste des amis de la

monarchie a beau être très fournie elle ne l’est jamais assez vu de

Rabat. Recruter de nouvelles têtes est une obsession

quotidienne pour les responsables marocains en poste en

France. Nous en décryptons les rouages, Jean-Pierre Tuquoi et

moi-même dans notre récent ouvrage «Paris-Marrakech, luxe,

pouvoir et réseaux».

 

Ces cercles s’organisent en plusieurs catégories dont les intérêts

se chevauchent. Il y a d’abord les individualités, natifs du Maroc,

et/ ou familiers des hautes sphères royales et qui en sont le plus

laudateurs. D’autres plus opérationnels agissent dans des clubs

d’amitié à l’Assemblée nationale par exemple, au sein de think

tanks comme l’obscur Observatoire des Études géopolitiques de

Charles Saint-Prot, dans les universités, dans les instances

économiques, patronales ou autres. La plupart sont choyés par

le royaume par des séjours tous frais payés dans les palaces de

Marrakech, obtiennent des distinctions, des avantages en nature

et profitent de prébendes locales, loin des mœurs républicaines.

En France, ils ont leur grande messe qu’ils célèbrent dès que le

calendrier ou l’actualité l’exige, au club d’amitié France-Maroc

du Sénat par exemple ou lors de pompeux colloques où le Maroc

est souvent décrit comme un îlot de stabilité et de dragon

économique maghrébin.

 

Quelle est l’origine de la relation entre les élites françaises et

marocaines ?

 

Les relations ont-elles évolué en fonction des présidents ?

 

Il faut tirer les fils de l’histoire de la collusion des élites

françaises et marocaines à l’époque d’Hubert Lyautey, résident

de la république au Protectorat du Maroc, qui avait, en

monarchiste refoulé, tenu à façonner et inculquer une certaine

idée de la notabilité à la française aux grandes familles

marocaines. De cette fusion originelle est née une sorte de

consanguinité des élites des deux rives. La forte présence de la

culture française à travers les écoles, lycées et instituts a

perpétué cette reproduction des élites francophiles qui

généralement parachèvent leurs études supérieures en France et

se retrouvent propulsées dans la haute administration, les

entreprises publiques ou privées, etc.

 

Le Maroc qui a toujours eu une préférence pour la droite

française incarnée notamment par Jacques Chirac qui entretient

des liens quasi familiaux avec la famille royale, puis par la

Sarkozye avec qui le roi partage un goût prononcé pour le luxe et

l’affairisme a su après une brève parenthèse difficile sous

Mitterrand domestiquer la plupart des cadors du PS. Il est très

rare aujourd’hui de trouver des critiques du Maroc au sein des

écuries présidentielles qu’elles soient de l’UMP ou du PS. Avec

Hollande, Rabat a su séduire une nouvelle génération de

 

socialistes que l’on retrouve en charge de portefeuilles-clé

comme Pierre Moscovici qui s’est acclimaté au Maroc du temps

de sa proximité avec DSK, de Najat-Vallaud Belkacem qui a

même siégé un temps dans une instance royale en charge de

l’immigration soulevant un vent de polémique sur cette

surprenante double casquette ou Manuel Valls qui a été décoré

d’une des plus hautes distinctions chérifiennes.

 

Les relations entre la France et le Maroc dépassent-elles le cadre

institutionnel et acceptable entre deux pays malgré le poids de leur histoire commune ?

 

Ces relations sont d’une telle singularité qu’elles dépassent

même en comparaison les liens institutionnels qu’entretient le

Royaume-Uni avec les États membres du Commonwealth. Un

comble pour une république, patrie des droits de l’Homme avec

une monarchie féodale de droit divin. Ces relations ne sont pas

acceptables, car elles procèdent souvent de l’achat des

consciences. Le Protectorat français sur le Maroc de 1912 à 1956

ne justifie pas au nom de l’Histoire une telle connivence qui, bien

souvent, se traduit par une interdépendance dommageable tant

certains faits sont niés et qui permettent au pouvoir absolu

marocain d’être habillé des oripeaux propres à tromper ceux des

étrangers, Français en premier, qui ne demandent qu’à l’être.

 

Peut-on parler de «relations incestueuses» et de «corruption» ?

 

Incontestablement, les relations franco-marocaines sont

incestueuses. Elles le sont parce qu’elles font fi du respect des

règles démocratiques les plus élémentaires. La France est

consciemment aveugle des turpitudes du régime marocain et fait

malheureusement caisse de résonnance à sa propagande,

notamment par rapport aux supposées avancées démocratiques

que connaîtrait le pays. Cette situation ne s’explique que par

l’indulgence des élites françaises qui justement entretiennent

des liens d’intérêts constants et profonds avec les premiers

cercles du pouvoir royal.  Je crois en effet que l’on peut parler de

corruption morale qui dans de nombreux cas s’accompagne de

corruption effective.

 

François Hollande, connu pour son tropisme algérien, a su

garder avec les Marocains une relation plus distante. Peut-il

assainir les relations avec le Maroc ?

 

La marge de manœuvre de François Hollande est bien marginale

face à la formidable machine franco-marocaine qui agit depuis

des années au cœur même de la république. Son style se

démarque certes d’un Sarkozy qui, d’escapades  privées en

visites officielles, était devenu un intime du monarque marocain,

mais sur le fond, Hollande ne dérive pas de la position française

qui soutient mordicus Rabat sur ses dossiers les plus épineux

comme celui du Sahara Occidental. Hollande connu en effet pour

son tropisme algérien, s’est d’ailleurs souvent satisfait de «la

transition démocratique exemplaire du Maroc» sans y apporter

la moindre nuance et sans évoquer les sujets qui fâcheraient son

allié, notamment sur les aspects sécuritaires, sur les atteintes

répétées aux droits de l’Homme, sur la détérioration manifeste

des faibles acquis en matière de liberté d’expression, sur la

suprématie du Trône sur les institutions et sur la prédation

économique de Mohammed VI et de son entourage immédiat et

la corruption généralisée qui atteint les marches du Palais.

Hollande n’a pas la latitude de défaire cette dangereuse

connivence, quitte à faire que la France soutienne à bouts de

bras cet allié maghrébin que l’on voudrait parfois moins

encombrant, mais qui comparé aux autres régimes arabes, est,

selon l’Élysée et le Quai d’Orsay, après tout acceptable. Une

doctrine qui, rappelons-le, avait mené au fiasco avec la Tunisie

de Ben Ali…