Nos deux articles à propos du quartier Mistral dans le précédent numéro ont suscité
diverses réactions plus ou moins enthousiastes. Karim Kadri, le président du Cohamis
(Collectif des Habitants de Mistral) que nous avions rencontré pour ce papier, a trouvé que
nos écrits se préoccupaient trop des questions de trafic. Voici des extraits de son droit de
réponse :
« La petite entreprise de l’activité du trafic est moins visible qu’avant et très bien
structurée. Les clients en col blanc viennent de quartiers plus huppés se fournir en
substances illicites. C’est eux qui favorisent le chiffre d’affaires de cette activité. À qui la
faute ? Aux clients ou aux commerçants ? (...)
Cette économie est-elle propre à Mistral ? Non bien sûr ! Elle est présente dans d’autres
endroits de Grenoble, et est bien connue de la police, de la justice des politiques. Alors
pourquoi stigmatiser Mistral ? (…) LIDL a baissé ses rideaux faute de chiffre d’affaires et
non pas seulement à cause des vols et de l’insécurité. (…) Savez-vous que suite à la
démolition des quatre barres ‘‘Strauss’’ beaucoup des relogés en dehors du quartier sont
revenus car ils se sentaient déracinés et que l’âme de Mistral leur manquait ? (…) Le 26 mai
dernier, la fête des voisins a été un véritable succès. Couscous géant, concours de
pétanque, tournoi de foot, projection de film : un vrai moment de convivialité entre de
nombreux habitants de Mistral. Tout ça pour dire que Mistral est un quartier chaud,
certes, mais surtout chaleureux ».
Cet article a aussi suscité des réactions moins aimables : deux des personnes ayant
témoigné non anonymement ont eu les pneus de leur voiture crevés. Il faut reconnaître
que nous avons fait une erreur, celle de mélanger des témoignages « signés » avec des
témoignages anonymes, si bien que certains – qui a priori se sont sentis visés par l’article –
ont cru que les deux émanaient des mêmes personnes. Après-coup, alors que nous ne
vivons pas dans ce quartier, on ne peut rien réparer. Bien entendu on est désolés, mais le
fait d’être désolé n’a jamais rien changé.
Le véritable problème est ailleurs. Ce qui est scandaleux, c’est l’impossibilité de parler
librement dans ce quartier. Les témoignages anonymes ou non publiés n’étaient pas
vraiment virulents : personne n’était nommé et surtout rien de « secret » n’était révélé. Ce
qui est dit dans cet article, tout le monde, habitant ou s’intéressant à Mistral, le sait.
Reste une question, en suspens : celle de l’intérêt du journalisme dans ce genre de cas.
Certains aimeraient que les journaux parlent des « quartiers » pour n’en dire que du bien,
ce qui revient à abandonner tout esprit critique pour faire de la communication. D’autres
pensent que la parole sur ces territoires doit être laissée à leurs seuls habitants, que les
journalistes, qu’ils soient issus de la presse dominante ou des médias indépendants, ne
peuvent faire que mal.
Quant à nous, comme Albert Camus, nous pensons que « mal nommer les choses, c’est
ajouter au malheur du monde ». Pour espérer changer les choses, il faut commencer par
dire la vérité. C’est ce que nous avons essayé de faire.
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