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CYBERCRIMINALITÉ : ARNAQUES,CRIMES ET INTERNET
18/02/2013 12:00
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En Afrique, comme ailleurs, le web attire des truands excités pardes gains faciles et peu risqués. Enquête sur un univers sansfrontières, où les lois sont floues, la langue obscure et les individus pas très Net.
Chaque seconde dans le monde, 18 personnes sont victimes d'une
escroquerie sur internet . Ils seront plus de 1,5 million à la fin de cette
journée, soit l'équivalent de la population du Gabon . Cette année,
quelque 550 millions de victimes perdront au total, comme ce fut le cas en
2011, la bagatelle de 110 milliards de dollars (83,3 milliards d'euros). Ce
qui représente plus que le produit intérieur brut (PIB) du Maroc .
L'Afrique n'est pas étrangère au phénomène. Bien qu'en retard en termes
de connexion internet, le continent est montré du doigt, notamment par
le FBI, qui a placé, en 2010, trois pays africains parmi les dix premières
sources de cyberarnaques. Les « heureux élus » : le Nigeria (3e), le Ghana
(7e), et le Cameroun (9e), dont le nom de domaine « .cm » fait partie,
selon un rapport publié en 2011 par la société de sécurité informatique
McAfee, des cinq noms les plus « risqués » de la planète. |
À la nigériane
Seul pays africain à se hisser sur ce triste podium, le Nigeria s'est même
fait un nom dans le milieu. La spécialité locale, « l'arnaque à la nigériane»,
est aujourd'hui célèbre. Elle se présente généralement sous la forme d'un
e-mail dans lequel une personne affirme posséder une importante somme
d'argent, en général plusieurs millions de dollars, sous forme d'héritage
ou de fonds à placer à l'étranger. « Ayant eu l'opportunité d'occuper un
portefeuille de secrétaire d'État en Angola, j'ai eu à attribuer un contrat
d'irrigation à une société portugaise et j'ai reçu en compensation la
somme de 22 millions de dollars », est-il ainsi expliqué dans cette
arnaque qui s'appuie sur le contexte angolais. Avant de détailler : « Mais
j'ai dû quitter mon pays pour me réfugier au Bénin à cause des problèmes
politiques. » L'arnaqueur demande alors de l'aide pour effectuer un
transfert d'argent. En échange, il offre un pourcentage sur la somme en
question. Un « partenariat gagnant-gagnant », qui pousse la victime à
accepter d'avancer les montants destinés à couvrir les frais (imaginaires)
de notaire, avant que le transfert ne soit effectif. Lequel, bien entendu, ne
le sera jamais. |
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Une arnaque à la nigériane jugée en 2010 aux États-Unis a rapporté à son
auteur 20 000 dollars en moyenne par victime. Ce qui reste évidemment
bien loin des sommets : en Côte d'ivoire , de mémoire de policier, le
record atteindrait 800 000 euros. « L'opportunité est énorme »,
explique le directeur de l'informatique et des traces technologiques au
sein de la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC)
d'Abidjan, Stéphane Konan : « Un braquage de banque rapporte en
moyenne 15 000 euros en Côte d'Ivoire. Une arnaque sur internet, avec
un investissement de 3 euros, peut également faire gagner 15 000 euros.
Le choix est vite fait. En plus, les risques sont beaucoup moins
importants. » |
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Législations balbutiantes
Les législations, au mieux balbutiantes, ont laissé ces pratiques prendre
de l'ampleur rapidement. D'abord spécialité du Nigeria, l'arnaque s'est
étendue, en particulier à la Côte d'Ivoire. Abidjan est aujourd'hui
considéré comme sa capitale. Mais c'est l'Afrique del'ouest-et l'Afrique
centrale à moindre échelle- qui est pointée. Certes, elle reste loin derrière
l'Europe de l'Est, où les pirates informatiques se sont spécialisés dans les
attaques de grande envergure, extrêmement lucratives. La région est
toutefois la principale origine des arnaques visant les pays européens
francophones, à savoir la France, la Belgique et la Suisse. Le dernier
rapport de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses
pénales (ONDRP) français affirme même que « l'Afrique noire [...]
développe une véritable culture de l'escroquerie en ligne ».
Ce sont surtout les biens et les personnes qui sont visés. Les services de
police ivoiriens estiment ainsi que, pour l'année 2012, 90 % des arnaques
recensées sur internet émanant de leur pays ciblaient le Vieux Continent.
En revanche, les cas de cybercriminalité à caractère politique ne sont pas
encore légion.
Les groupes de pirates marocains tels que Team Evil ou, plus récemment,
Moroccan Ghosts, font ainsi partie des exceptions en s'attaquant aux sites
de jeux de hasard en ligne et à des sites israéliens pour des raisons
religieuses et politiques. Ils visent aussi des sites espagnols en prétextant
lutter pour la libération des enclaves de Ceuta et Melilla. Tout au plus
sont-ils imités dans leur démarche dite « hacktiviste » par des pirates
camerounais qui ont pris pour cibles les sites du Premier ministre, du
ministère des Domaines et des Affaires foncières (2008), ou du Parti des
démocrates camerounais (2011). Mais le phénomène reste peu fréquent. |
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"J'ai une vidéo porno de toi"
Le chantage à la vidéo, en revanche, s'est développé avec l'explosion des
réseaux sociaux, Facebook en tête. La victime idéale en est souvent un
fervent adepte. En mal de relations (de toute sorte), elle est de préférence
prête à exposer des éléments de sa vie privée. Photos, vidéos de strip-
tease, les « hameçonnés » peuvent aller très loin. Ce qui les pousse, une
fois soumis au chantage, à certaines extrémités. Voire au suicide, comme
ce jeune Breton (France) prénommé Gauthier qui s'est donné la mort en
octobre 2012, à l'âge de 18 ans, après avoir été piégé par une prétendue
jeune fille.
Au fil de leur conversation, le jeune homme avait fini par accepter de se
dévêtir. Seulement, de l'autre côté de la caméra, ce n'était pas une jeune
fille qui le regardait, mais un « brouteur », autrement dit un maître
chanteur. En menaçant Gauthier de diffuser l'enregistrement s'il ne lui
versait pas de l'argent régulièrement, l'arnaqueur a poussé le jeune
homme à bout. « J'ai une vidéo porno de toi. Si tu ne me donnes pas 200
euros, je vais détruire ta vie. » Le jeune Français n'a pas supporté : il s'est
pendu à son domicile. |
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L'enquête, ouverte par le parquet de Brest, mènerait pour le moment en
Côte d'Ivoire, jusqu'à un cybercafé d'Abidjan. Mais à partir de là, tout se
complique. En théorie, le parquet français peut émettre une commission
rogatoire internationale, afin de demander à la police ivoirienne
d'enquêter sur place et d'aboutir, si arrestation il y a, à un jugement en
France. Seulement, en 2012, aucun cas de ce genre n'a été signalé.
Manque de volonté, semble-t-il, côté français.
Si les pays d'Europe n'exercent pas de pression diplomatique particulière,
une solution africaine pourrait émerger. Le Nigeria a adopté, le 27
novembre 2012, une loi définissant les infractions et les sanctions
relatives à la cybercriminalité, et la Côte d'Ivoire s'apprête à faire de
même cette année. Neuf pays se sont réunis en septembre 2012 à Dakar
afin de travailler à l'harmonisation des législations, tandis que des
discussions sont en cours à la Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest (Cedeao).
Crime organisé
Le sujet, bien qu'il paraisse secondaire, est pourtant de taille. À l'échelle
de l'Afrique du sud , pays le plus connecté du continent, les pertes
globales s'élèvent à 3,7 milliards de rands chaque année (329 millions
d'euros). Surtout, les risques encourus sont encore trop faibles pour
contrebalancer les gains. Une véritable criminalité organisée semble ainsi
émerger. |
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La riposte ivoirienne
À première vue, le combat est déséquilibré. D'un côté les innombrables
arnaqueurs cachés dans les cybercafés, de l'autre une équipe de quarante
policiers seulement, membres de la Plateforme de lutte contre la
cybercriminalité (PLCC) de Côte d'Ivoire. « Nous avons mis en place un
dispositif qui permet de recueillir toutes les plaintes, qu'elles viennent de
France, du Canada ou des États-Unis, et nous tenons une permanence
vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour recueillir le maximum
d'informations », explique Stéphane Konan, le directeur de
l'informatique et des traces technologiques au sein de la PLCC. Mais
l'heure n'est pas à l'opération de grande envergure. Créé en 2009, ce
service n'a réellement démarré qu'en 2011, à la fin de la crise
poste éléctorale, et se cantonne essentiellement au recueil de statistiques
et à la diffusion d'informations sur une page Facebook et un site internet.
Après une année de fonctionnement, ces fins limiers du web estiment
avoir obtenu un tableau « assez précis » de la cybercriminalité en Côte
d'Ivoire, à 90 % tournée vers l'Europe. Axées sur les biens et les
personnes, en particulier à travers la technique du chantage à la vidéo, les
arnaques vont faire l'objet d'une loi au début de l'année. Objectif :
alourdir les sanctions, amendes ou peines de prison, trop faibles
actuellement pour freiner les arnaqueurs. La future législation entend
aussi agir auprès des opérateurs de téléphonie, des fournisseurs d'accès
internet, mais également des organismes de transfert de fonds. L'une des
mesures phares de cette nouvelle loi devrait également faire grand bruit
dans les cybercafés d'Abidjan : pour pouvoir se connecter, chaque client
aurait à décliner son identité auprès du patron de l'établis sement. Celui-
ci serait alors tenu de transmettre en temps réel ces informations à la
PLCC. Un coup dur porté à la principale arme des « brouteurs » ivoirien:
l'anonymat. Reste à s'assurer de l'application de ce système. M.O. |
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